Gérard Bon
Les syndicats français misent sur une mobilisation d'une rare ampleur jeudi pour contraindre Nicolas Sarkozy à prendre des mesures à la hauteur de la crise et infléchir sa politique en direction des salariés.
Tous, même les plus modérés, exigent une relance par la consommation avec le soutien de partis de gauche déterminés à repasser à l'offensive et d'une foule de réseaux et associations pour qui "ce n'est pas aux Français de payer la crise."
Ce "jeudi noir" constitue un test à la fois pour le monde syndical bousculé par les réformes gouvernementales et le chef de l'Etat. Deux sondages montrent que le mouvement est soutenu ou compris par l'opinion (69% pour CSA, 75% pour Ifop).
Fait nouveau, nombre d'acteurs de la mobilisation estiment qu'une journée ne suffira pas et parlent de prolonger le mouvement, ce qui constitue le principal risque pour le gouvernement en cette période troublée.
"Si le gouvernement n'entend rien et n'écoute pas, il y aura des suites", prévient Jean-Claude Mailly, secrétaire général de Force ouvrière tandis que François Chérèque, dirigeant de la CFDT, conseille au pouvoir d'entendre ce "cri de colère."
"La mobilisation sera sans équivalent depuis longtemps", déclare Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, dans Le Parisien publié mercredi.
Des syndicalistes pensent qu'il faudra mesurer cette journée à l'aune des défilés anti-CPE, de 2006, qui avaient rassemblé de un à 2,6 millions de manifestants ou de mai 2003 contre la réforme des retraites avec un million de participants.
LE SANG-FROID DE SARKOZY
Le gouvernement estime cependant que des métros, des trains et des RER circuleront jeudi en France grâce au service minimum "qui a fait ses preuves."
Tout en disant saisir les inquiétudes, l'UMP se dit sereine, jugeant que le gouvernement se donne les moyens de combattre la crise et qu'il y apporte une réponse équitable en fustigeant par exemple les "bonus" de certains patrons.
Mardi, Nicolas Sarkozy a réaffirmé sa volonté de poursuivre les réformes pour que la France sorte plus forte de la crise même s'il s'est dit conscient des inquiétudes des Français.
"Je dois voir tout ça avec sang-froid, avec calme, réfléchir, ne pas décider en fonction de ce qui est écrit dans le journal, ni de celui qui crie le plus fort", a-t-il dit.
Dans l'entourage du chef de l'Etat, on ne voit pas pour l'instant de signe de conjugaison avec d'autres mouvements, raison pour laquelle il n'est pas question de "surréagir."
Dans le Monde, des élus UMP expriment pourtant leur crainte d'une conjonction explosive des mécontentements.
"Je sens une violence en train de naître", dit Philippe Cochet, député du Rhône.
Les syndicats (CFDT, CFE-CGC, CFTC, CGT, FO, FSU, Solidaires et Unsa) s'agacent pour leur part de ce qu'ils qualifient de double langage de la majorité de droite et de ses attaques répétées contre les "abus du droit de grève."
Le ministre du Budget, Eric Woerth, a ainsi jugé qu'une grève en temps de crise était un mode d'expression inapproprié, qui risque "d'ajouter de la peur à la peur."
Jean-Claude Mailly a aussitôt prévenu que réquisitionner certains grévistes pour assurer le "service minimum" serait "un point de conflit dur."
CATALOGUE DE PROTESTATIONS
Sous l'impulsion de sa nouvelle dirigeante Martine Aubry, le Parti socialiste entend revenir en première ligne sur le terrain social et, pour la première fois depuis longtemps, appelle ses adhérents à descendre dans la rue.
Parallèlement, une dizaine de partis situés à la gauche du PS, du PCF au NPA d'Olivier Besancenot, entendent appuyer le mouvement social et même le prolonger.
De nombreux secteurs appellent à la grève et à manifester.
Au fil des jours, le catalogue n'a cessé de s'enrichir : La Poste, France Télécom, l'Éducation nationale, EDF, les hôpitaux, GDF Suez, la construction navale, Pôle emploi, France Télévisions, les journalistes, la Banque de France, les banques, les magistrats, et les universités.
S'y ajoutent des appels dans les chantiers navals et chez les constructeurs et des perturbations sont attendues dans les transports terrestres et aériens.
Des préavis de grève ont été déposés dans 77 réseaux de transports en commun sur 137, selon l'Union des transports publics et ferroviaires (UTP).
Presque tous les syndicats de la SNCF ont appelé à cesser le travail mais 40% des trains régionaux et 60% des TGV rouleront.
A Paris, les perturbations seront variables dans le métro et plus forte sur les RER desservant la région parisienne.
Des perturbations sont également attendues dans les transports aériens et l'aviation civile a recommandé aux compagnies de réduire le trafic de 30% à Orly et de 10% à Roissy, près de Paris, ce qu'Air France entend respecter.
Edité par Yves Clarisse